lundi 16 avril 2007

Fille ou garçon ? Faites vos jeux, rien ne va plus !

La morale reste le moteur des décisions les plus controversées de George W. Bush. Il s’apprête à rayer à nouveau d’un trait de plume le projet de loi qui vise à lever les restrictions posées à la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Il s’oppose à près des deux tiers des sénateurs américains démocrates et républicains confondus et à la communauté scientifique qui plaident vigoureusement pour la levée de telles restrictions.


L’état des lieux

Aux États-Unis, un vide juridique dans le domaine de la sélection d'embryons ouvre, à des cliniques de la fertilité, la voie pour un commerce bien particulier : les Chinois veulent des garçons, les Canadiens, des filles. Les Canadiens et les Chinois sont sollicités par le biais de publicités encartées dans les revues distribuées dans les avions ou diffusées sur des sites Web. Lorsque fortunés, les couples se rendent aux États-Unis pour choisir le sexe de leur enfant. Ce qui est permis aux États-Unis ne l’est pas dans leur pays. Il ne s'agit pas là, selon le Dr Jeffrey Steinberg, de se prendre pour Dieu mais d’offrir un service à des couples infertiles. Le choix d’un garçon ou d’une fille est un droit bien légitime. « Ce qu'on nous explique, c'est qu'il vaut mieux ne pas naître que d'être d'un sexe non désiré par ses parents. Et c'est choquant », rétorque Matthew Eppinette, directeur de recherche du Centre pour la bioéthique et la dignité humaine, un groupe de bioéthique chrétien.


Le fait de sélectionner le sexe de l'embryon en l'absence de raison médicale ne semble nullement troubler les consciences américaines alors que de nombreux pays interdisent une telle pratique. « Évidemment, cela attire les couples pour lesquels c'est important », constate Susannah Baruch, directrice du Centre de génétique reproductive de l'Université Johns Hopkins, qui tente de recenser les sélections de sexe aux États-Unis et d'en comprendre les motifs.


« Certaines personnes ne voient pas de problème à dépenser jusqu'à 50.000 ou 70.000 dollars pour une voiture, alors que là, c'est une vie qui va partager la nôtre pour toujours » se justifie Robert, un Australien qui a souhaité garder l'anonymat.


Si les banques privées sont interdites dans de nombreux pays (France, Espagne, Italie, ...), elles se développent rapidement en Grande-Bretagne, en Allemagne et leur essor est fulgurant en Asie, Australie et aux États-Unis. En avril 2006, on dénombrait 134 banques privées dans le monde, pour un total d'environ 740 000 unités et 54 banques publiques pour 230 000 unités.


C’est une simple question de gros sous. L'ensemble du marché des cellules souches est estimé à 15 milliards de dollars. Pour multiplier la capacité de ces banques publiques, le Congrès américain a voté en décembre 2005 le Stem Cell Therapeutic and Research Act et consacré 79 millions de dollars pour, qu'en 2010, le ratio de 250 000 unités pour 300 millions d'habitants soit atteint. Le marché des cellules souches stimule donc l'intérêt des plus grandes firmes pharmaceutiques, malgré les controverses éthiques qu'il suscite.


Lors de la 22ème conférence annuelle de la Société européenne de reproduction et d'embryologie humaine (Prague), qui s’est tenue en juin 2006 à Prague, Jacques de Mouzon, épidémiologiste et spécialiste des questions de reproduction à l'Inserm, a annoncé que, depuis 1978, ont été conçus dans le monde 3 millions d'enfants par assistance médicale à la procréation (AMP). Pour encourager la recherche sur les cellules souches non-embryonnaires, le Congrès américain a alloué, dans le cadre du même Stem Cell Therapeutic and Research Act, 265 millions de dollars aux recherches sur les cellules progénitrices de la moelle osseuse et aux cellules souches de sang de cordon.


Le magazine américain pour femmes enceintes Fit Pregnancy compte, parfois, quatre pleines pages de publicités de services d'entreposage de sang de cordon ombilical, précieux liquide riche en cellules souches, ces cellules qui ont la formidable capacité de se régénérer, de fabriquer du sang ou de se spécialiser dans d'autres tissus et organes. « Préserver le sang de cordon de votre bébé pourrait être une des décisions les plus intelligentes que vous puissiez prendre », clame la publicité de la société Viacord. « Une ressource puissante contre les maladies qui pourraient survenir dans le futur », renchérit la compagnie Cord Blood Registry.


Bienvenue dans le merveilleux monde de la bioéthique –embryonnaire ou non ?

Comme l’indique Doctissimo : « Cartographie du génome humain, premier succès de thérapie génique, clonage... la biologie vient de trouver un nouvel eldorado : les cellules souches. Capables de fournir à loisir des neurones, de la peau, des muscles, du foie… elles mobilisent de par le monde des milliers de biologistes et pourraient représenter l’une des plus formidables avancées de l’histoire médicale ». En réponse à ces avancées de l’histoire médicale, le président Georges W. Bush, lors de la convention Baptiste du sud-ouest des États-Unis, qui s’est tenu à Indianapolis devant des caciques irréductibles, semonça les chercheurs : « La vie est une création de Dieu, pas une commodité exploitable par l'homme ».


Qui ne se souvient pas de l'acteur Christopher Reeve, célèbre pour son rôle de Superman, qui lançait en 2001 un vibrant appel au président des États-Unis pour qu'il autorise le financement public de la recherche sur les cellules souches ? Christopher Reeve sommait alors George W. Bush de passer outre aux pressions du pape Jean-Paul II, qui demandait aux États-Unis de s'opposer à la création d'embryons humains pour la recherche scientifique au nom de la défense du droit à la vie.


Nancy Reagan, à la mort de l'ex-Président Ronald Reagan, avait fait un émouvant plaidoyer pour la recherche sur les cellules souches en invitant la population à faire pression auprès de l'administration Bush, insensible au progrès. Son célèbre époux, décédé après un long combat contre la maladie d'Alzheimer, comme bien d'autres patients, aurait pu bénéficier, selon les scientifiques, des résultats d'éventuelles trouvailles sur la recherche des cellules souches.


On se souviendra également de Michael J. Fox, le célèbre comédien canadien (qui a obtenu la nationalité américaine en 2000), atteint de la maladie de Parkinson, qui était apparu dans une publicité soutenant la candidate démocrate Claire McCaskill pour le poste de sénateur du Missouri contre le républicain Talent. Celui-ci s'opposait à la recherche sur les cellules souches. Les républicains avaient répliqué en accusant Michael J. Fox de feindre ou à tout le moins d'exagérer ses symptômes, ou de ne pas avoir pris ses médicaments exprès pour ce tournage.


Aux États-Unis, la question est simple : vous pouvez choisir le sexe de votre enfant, moyennant forte rétribution, mais il est considéré comme immoral, par le président et la droite religieuse, d’espérer une guérison à l’aide d’une greffe de tissus issus de cellules souches embryonnaires.


Le rêve de tous les patients et des médecins : utiliser des cellules humaines qui se régénèrent pour remplacer les tissus abîmés. Une « lignée de cellules souches embryonnaires humaines » est, selon la définition de la Commission européenne, une culture de cellules souches isolées à partir d'un embryon humain à un stade précoce; ces cellules pouvant être multipliées à l'infini en laboratoire.


Quels sont les différents types de cellules souches ? Les cellules souches embryonnaires, les cellules germinales embryonnaires et les cellules souches adultes. Les cellules souches embryonnaires proviennent des embryons, les cellules germinales embryonnaires proviennent des testicules et les cellules souches adultes proviennent de la moelle osseuse.


Nous retrouvons donc les cellules souches issues des annexes embryonnaires (placenta, cordon ombilical) ou de fœtus provenant d'avortement. Ensuite, il y a les cellules des embryons dits surnuméraires préparés par fécondation in vitro (FIV), destinés à être réimplantés, mais que les médecins n'ont pas utilisés. Enfin, il existe des cellules souches adultes. Ces dernières, moins nombreuses que les cellules souches embryonnaires, sont plus difficiles à cultiver in vitro. Autant les premières peuvent donner naissance aux 200 types de cellules différenciées ­ nerveuse, musculaire, osseuse ­ que l'on recense dans le corps, autant les cellules souches adultes ne peuvent qu'engendrer les différents types cellulaires du tissu dont elles sont issues. Ces cellules risquent d'être rejetées par l'organisme.


L'idée est de créer des cellules pour fabriquer des tissus de rechanges. Les scientifiques savent traiter ces cellules souches embryonnaires pour qu’elles deviennent l’un de ces tissus de rechange. N’ayant pas de fonction précise, ces cellules sont indifférenciées. Cet état n'est pas permanent. En se développant, elles acquièrent une fonction bien précise. L’embryon ne se développe donc pas en un fœtus, mais en différents tissus.


Pour obtenir des cellules souches embryonnaires, il existe deux procédés : le premier consiste à partir d’embryons surnuméraires, obtenus dans le cadre de fécondations in vitro. Le second se fait par clonage : en retirant le noyau de son ovule, on implante à cette dernière le noyau d'une autre cellule. Le résultat est similaire à un ovule fécondé avec la connaissance de son code génétique complet.


Depuis 1990, des chercheurs britanniques ont pu créer et utiliser des embryons pour des objectifs limités, en l’occurrence le traitement de la stérilité et le dépistage des malformations génétiques. D’autres chercheurs de l’Université d’Auckland, en Nouvelle-Zélande et de l’Académie Sahlgrenska, en Suède, ont découvert des cellules souches dans certaines parties du cerveau. Les chercheurs ont noté la présence d’un tube rempli de liquide permettant aux nouvelles cellules nerveuses de se rendre jusqu’au bulbe olfactif. Les cellules souches présentes dans ce tube se modifient graduellement en cellules nerveuses au fur et à mesure qu’elles se déplacent vers le bulbe olfactif. Cette découverte représenterait un espoir de pouvoir mettre au point des traitements pour réparer les cerveaux humains endommagés par des blessures et des maladies neurodégénératives, telles la maladie d’Alzheimer.


Le champ d’étude sur les cellules souches pourrait révolutionner la médecine et permettre le traitement par transplantation de toute une gamme de maladies, allant du diabète à la maladie de Parkinson. Les partisans de l’élargissement de la recherche sur les cellules souches embryonnaires à d’autres pathologies soutiennent qu’il ouvrirait des débouchés sur des traitements pour des millions de personnes souffrant de problèmes de santé comme le diabète, la maladie de Parkinson ou des lésions de la moelle épinière. En remplaçant le noyau de l'ovule par un noyau (lieu de l'information génétique) d'une cellule du donneur-receveur, les cellules se multiplient et forment un embryon qui a le même bagage génétique que le receveur. On peut en faire n'importe quoi (cellules de peau, neurones, cardiaques...).


Autant l’horizon scientifique sur les cellules souches est porteur d’espoir, autant il est obscurci par des craintes sur la légitimité de telles recherches. Le débat est âpre. Bernard Mathieu, professeur de Droit à la Sorbonne, considère que « l’embryon est, au sens propre des termes, un être humain: il existe et sa nature est humaine et il doit être protégé contre toute utilisation commerciale sans cependant porter atteinte au droit des femmes à la santé et à la maîtrise de leur fertilité ». « Tout humain a droit automatiquement à la dignité. C’est ce qui nous distingue du reste des espèces animales », soutient Noëlle Lenoir, membre du Conseil constitutionnel français et présidente du Groupe européen d’éthique.


Le Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, dans son avis no 93 (juin 2006), concluait plus objectivement que les problèmes éthiques, à l'égard de la recherche sur les cellules souches, sont de trois ordres :


  • Les éléments ou produits du corps humain sont communément considérés dans de nombreux pays comme à l’abri de toute forme de commercialisation. L’éventuelle brevetabilité des gènes a déjà suscité de nombreuses protestations. A fortiori la commercialisation de la cellule en pose bien davantage. Mais les cellules souches, embryonnaires ou non embryonnaires, subissent le plus souvent de nombreuses transformations, qui conditionnent leur éventuel usage ultérieur. De telles transformations devraient pouvoir être dédommagées, voire rémunérées. D’où l’intervention, inévitable, d’enjeux financiers dans toute manipulation de cellules souches. Un premier ensemble de problèmes éthiques a donc trait à la nature et aux limites de la commercialisation acceptable en matière de cellules humaines.

  • Un autre ensemble de problèmes éthiques touche au consentement. La cellule qui serait objet de commerce est la cellule d’une personne. La transformation de la cellule puis son utilisation requièrent donc son consentement.

  • Enfin, les problèmes éthiques ont trait aux inévitables conflits d’intérêt que soulève la recherche biomédicale : intérêt des malades, désireux de nouvelles avancées thérapeutiques et qui souhaitent légitimement que la recherche privée ou publique, progresse vite et soit alimentée par d’importants investissements ; intérêt des investisseurs prêts à faciliter la recherche par un apport d’argent, à condition de pouvoir s’en assurer le bénéfice ; protection des personnes sources du matériel biologique qui doivent pouvoir consentir à l’usage des éléments de leurs corps qu’elles ont donnés ; intérêt de la recherche pour laquelle une interdiction de la commercialisation des produits du corps humain n’est pas sans conséquences en matière de développement scientifique; intérêt enfin de la société soucieuse de préserver les normes communes et les principes sur lesquels celles-ci sont construites, fondés sur le respect de la personne humaine.

Le Royaume-Uni, la Belgique et la Suède offrent un arsenal juridique qu’on peut qualifier de permissif alors que la France, l’Allemagne et l’Italie sont beaucoup plus restrictives. Le Royaume-Uni fut le premier État européen à légaliser, le 22 janvier 2001, le clonage d’embryons humains.


Au Canada, la Loi sur la procréation assistée et la recherche connexe interdit la création d'embryons pour la recherche sur les cellules souches. Les seuls embryons utilisables pour la recherche doivent avoir été conçus par la technique de fécondation in vitro et leur durée de vie ne doit pas dépasser 14 jours. Les donneurs, n'ayant plus besoin de ces embryons surnuméraires, doivent avoir consenti à leur utilisation pour la recherche.


L’opposition la plus ferme est venue de l’Église catholique, qui considère l’embryon comme un être vivant dès la conception. Comme le rapportait Libération, le cardinal Alfonso López Trujillo, président du Conseil pontifical pour la famille, avait, en juin 2006, durement attaqué, dans un entretien avec l'hebdomadaire Famiglia Cristiana, les chercheurs qui travaillent sur les embryons humains en rappelant que, selon l'Église catholique, ils devraient être excommuniés : « Détruire un embryon équivaut à un avortement [...] L'excommunication est valable pour les femmes, les médecins et les chercheurs qui détruisent les embryons ». Le pape Benoît XVI est intervenu personnellement pour réaffirmer sa condamnation absolue des travaux sur les cellules souches embryonnaires qui représentent « une destruction de la vie humaine ». Et de marteler que sur ce sujet « il ne peut y avoir ni compromis, ni tergiversations ». L’Église catholique recommande que la recherche soit circonscrite aux seules cellules souches adultes.


L’Église d’Écosse est plus nuancée : elle considère que l’embryon humain est inviolable dès la conception mais reconnait que les recherches pouvaient malgré tout être admises avant le développement de la ligne primitive, dans des circonstances exceptionnelles, compte tenu de la gravité de certaines affections. Il s’agissait initialement de la stérilité et de maladies génétiquement transmissibles.


Les convictions religieuses de Georges W. Bush

George W. Bush, président en 2000, autorise en 2001 le financement fédéral des expériences sur les cellules souches embryonnaires, mais exclusivement sur les lignées déjà obtenues. Cette décision visait clairement à conforter l’électorat de droite chrétienne, en participant à ce que le politologue Christopher Mooney appelait « l’ascension des politiques de moralité ». Par exemple, sur des thèmes comme la peine de mort, l’avortement, les droits des homosexuels, la pornographie, l’éducation sexuelle, etc. « Or, même si le secteur privé intervient puissamment dans le financement des recherches sur les cellules souches, les subventions du gouvernement fédéral manquent cruellement, risquant de faire des États-Unis non plus le premier dans ce domaine mais le deuxième derrière la Grande-Bretagne ».


Les sondages indiquent qu'une majorité d'Américains appuient le projet de loi adopté par le Congrès. Le président Bush ne veut cependant pas plier sur cette question, disant agir pour la protection de la vie : « Ce projet de loi franchit une limite morale que moi et beaucoup d'autres trouvons inquiétante », a déclaré le président Bush dans un communiqué. « Si ce projet passe toutes les étapes de procédure du Congrès pour arriver sur mon bureau, j'y opposerai mon veto », a-t-il prévenu. Son attitude inflexible est la même en ce qui concerne la guerre.


En juillet 2006, le Sénat adoptait le H.R. 810 (Stem Cell Research Enhancement Act), par un vote de 63 contre 37, mesure législative ayant pour but d’accorder des fonds fédéraux en soutien à la recherche sur les lignées de cellules souches embryonnaires provenant de milliers d'embryons issus d’expériences in vitro. A l'époque, le Congrès était encore dominé par les Républicains. Le Congrès avait adopté un texte levant les limitations au financement de la recherche. George Bush y avait mis son veto, estimant qu'une telle loi encouragerait la destruction des vies humaines au nom de la recherche. Les observateurs croient que si le président est si catégorique dans son opposition à la recherche sur les cellules souches embryonnaires, c'est parce qu'il tente de plaire à la droite religieuse pour qui la vie humaine est sacrée et ce, dès que les cellules commencent à fusionner, ou même plus tôt. Nous nous retrouvons devant le dilemme pro-choix et pro-vie.


Le Sénat américain, à majorité démocrate, est revenu à la charge en adoptant, à 63 contre 34 le 11 avril dernier, un projet de loi visant à lever les restrictions posées dès la première année de l'administration Bush à la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Après la Chambre des représentants, le Sénat autoriserait ainsi les chercheurs recevant des subventions fédérales de produire de nouvelles lignées de cellules souches provenant d'embryons humains.


Si le président américain aborde les questions internationales avec des principes simples et des croyances personnelles conservatrices fermement ancrées, pourquoi n’en serait-il pas de même pour les questions scientifiques? Il l’explique lui-même : « Mon travail ne consiste pas à chercher à nuancer les choses. Mon travail consiste à dire aux gens ce que je pense. Et quand je pense qu’il y a un axe du mal, je le dis. Je crois que la clarté morale est importante ».



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