lundi 12 mars 2007

En prison pour la liberté de presse

Josh Wolf défend son droit de n’être ni un auxiliaire de justice ni un auxiliaire de police. Il a refusé de livrer des vidéos d'une manifestation à San Francisco. Pour obtenir les sources d'un journaliste, jusqu'où peut aller la justice fédérale américaine ? En août 2006, une cour d’appel fédérale autorise la justice à étudier les relevés d’appels téléphoniques de deux journalistes du New York Times, Judith Miller et Philip Shenon, pour tenter d’identifier leurs sources dans une affaire qui remontait à l’automne 2001.


Tout récemment, un rapport de l’inspecteur général du ministère de la justice américain fait état que le FBI a abusé des pouvoirs qui lui avaient été conférés après les attentats du 11 septembre 2001 et que plusieurs dizaines de milliers d’Américains ont ainsi été indûment espionnés. Une justice à la dérive ?


 


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Josh Wolf Le blogueur et journaliste indépendant, Josh Wolf, âgé de 24 ans, est l’auteur d’un documentaire sur une manifestation contre le G8 qui s’est déroulée à San Francisco en 2005. Au cours de cette manifestation, des actes de violence ont été commis sur un agent de police, ce qui a conduit à l’ouverture d’une enquête. Josh Wolf croupit dans une prison américaine, depuis plus de 200 jours, parce qu’il a refusé de livrer ses archives vidéo à la justice fédérale dans le cadre de l’enquête d’un grand jury sur les dégradations présumées d’une voiture de police pendant les événements.


Selon Reporters sans frontières (RSF), l’enquête d’un grand jury sur cette affaire de dégradation doit se poursuivre jusqu’en juillet 2007. Pour l’organisation Reporters Committee for the Freedom of the Press (RCFP), la date limite d’expiration de cette enquête, d’abord fixée à juillet 2007, pourrait être repoussée à janvier 2008. Selon la loi fédérale, la durée maximale de détention d’une personne condamnée au civil pour outrage à la cour ne peut excéder dix-huit mois.


En date d’aujourd’hui, le séjour à l’ombre de Josh Wolf est le plus long jamais effectué par un journaliste américain dans son propre pays. Vanessa Leggett, journaliste indépendante elle aussi, avait passé 168 jours derrière les barreaux, du 20 juillet 2001 au 4 janvier 2002, pour avoir refusé de livrer ses sources à la justice fédérale.


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Les faits


Reporters sans frontières (RSF) rappelle les faits : « le blogueur a soutenu que la vidéo visionnée dans son intégralité démontrerait que l’intervention de la police elle-même n’était pas étrangère à la déferlante de violence qui s’est ensuivie. Josh Wolf avait accepté de remettre la vidéo à la justice à la condition expresse que cette preuve ne soit pas exploitée par le ministère public comme un élément probant au service de ses seuls arguments. Le blogueur craignait en effet que sa vidéo ne soit utilisée dans le but de poursuivre les manifestants pour actes de violence et non pour obtenir une vue d’ensemble des événements tels qu’ils se sont déroulés ce jour-là. Il craignait également que ces poursuites ne dissimulent en réalité une enquête fédérale menée par un groupe anti-terroriste enquêtant sur une manifestation civile. Josh Wolf demeurera incarcéré tant qu’il refusera de se soumettre à l’injonction judiciaire ». Malgré sa détention, Wolf continue d’écrire sur son blog. Un comité d’appui a été créé pour soutenir la défense de Josh Wolf.


Le 19 janvier 2007, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des Représentants, dans une lettre au procureur général fédéral, demandait une loi fédérale garantissant aux journalistes le droit de protéger leurs sources. Le secret professionnel est reconnu aux journalistes dans 33 États de l’Union. La Chambre des représentants de l’État de Washington (Ouest) a voté une loi en ce sens à l’unanimité, le 16 février 2007. D’autres “lois-boucliers” (“shield laws”) sont en discussion dans les États du Missouri, de l’Utah, du Massachusetts et du Texas. Reporters sans frontières plaide pour qu’une législation similaire soit votée au niveau fédéral. Plus d’une douzaine d’affaires faisant intervenir la protection des sources se trouvent actuellement devant les tribunaux aux États-Unis.


Le juge fédéral William Alsup, qui avait prononcé l’incarcération du jeune homme, avait également ordonné, le 14 février dernier, une médiation judiciaire confiée à son collègue, le juge Joseph Spero.


Cette médiation judiciaire vient d’échouer : elle aura été une première dans ce type d’affaires de presse, indique Reporters sans frontières. Elle aurait pu être l’occasion de réparer une injustice flagrante. Le juge Joseph Spero aurait pu prendre en compte le fait qu’un journaliste n’est pas un auxiliaire de justice ou un indicateur, et qu’il peut revendiquer le secret professionnel, essentiel à son rôle d’information du public. La médiation a échoué. L’échec de cette médiation est un revers pour le secret professionnel des journalistes aux États-Unis, fortement mis à mal par la justice fédérale. Le juge Joseph Spero aurait pu convenir d’une peine alternative à la prison, difficilement justifiable.


D’autres cas similaires


Aux États-Unis, deux reporters du San Francisco Chronicle, Lance Williams et Mark Fainaru-Wada , viennent d’éviter la prison pour avoir refusé de divulguer leurs sources dans une histoire qui remonte à 2004 sur les drogues qui améliorent la performance. Les journalistes suivaient l’enquête d’un grand jury fédéral sur le dopage dans le monde de sport, utilisant le témoignage de quatre athlètes accusés d’utiliser des stéroïdes fournis par un laboratoire local. Le juge White les a alors condamnés tous deux à 18 mois de prison, la peine maximale. Le 1er mars 2007, le juge fédéral Jeffrey White a annulé les procédures judiciaires pour outrage à magistrat contre Lance Williams et Mark Fainaru-Wada, après qu’un avocat représentant des athlètes accusés de dopage, Troy Ellerman, eut admis avoir coulé un témoignage fait devant un grand jury et déclaré qu’il plaiderait coupable d’outrage à magistrat, d’entrave à la justice et de faux témoignage. N’eût été de l’aveu de Troy Ellerman, les deux journalistes croupiraient également en prison.


Conclusion


La « sécurité nationale » semble un bon prétexte pour faire condamner des journalistes invoquant le secret professionnel. Refusant de livrer ses sources dans une affaire concernant la divulgation de l’identité d’un ancien agent de la CIA, et impliquant l’entourage de l’administration Bush, Judith Miller, alors au New York Times, avait purgé trois mois et demi de prison, du 6 juillet au 29 septembre 2005.


Entre temps, Josh Wolf croupit et croupira encore en prison, jusqu’à ce qu’une prochaine médiation – si tant est qu’elle puisse avoir lieu – statue sur son cas.


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