mercredi 21 mai 2008

Québec - Nicolas Sarkozy croit-il vraiment que la France n’aura plus à choisir comme l’ont fait ses prédécesseurs depuis Charles de Gaulle ?

Il faut être réaliste. Le Québec n’est plus au centre des intérêts de la France lorsque celle-ci regarde l’Amérique. L’axe Paris-Toronto est plus important. Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy, l’axe Paris-Ottawa a retrouvé la voie du dialogue direct et bienveillant. Il reste bien quelques vestiges de la non-ingérence mais non-indifférence. Prix de consolation pour les nostalgiques.

Pour l’heure, le meilleur ambassadeur du Québec à Paris n’est pas son premier ministre, Jean Charest, mais une artiste d’envergure internationale, Céline Dion, présente en France pour une série de six concerts « événements » au Palais omnisports de Paris-Bercy, une salle de 15 000 places, remplie pour cette grande première à 90 pour cent.

Avant le spectacle, le premier ministre Jean Charest et son épouse, également en France, ont soupé dans une loge avec Céline Dion et René Angelil. En France, Céline Dion demeure, dit-on, une immense vedette et jouit d’un immense capital de popularité, bien que « D’elles » (250 000 disques vendus) ait reçu un accueil assez tiède.

Cette tiédeur serait un peu à l’image des relations actuelles entre la France et le Québec. Après la Gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean, surnommée la « petite reine du Québec », Jean Charest a été reçu lundi à l’Élysée par Nicolas Sarkozy pour un troisième entretien, depuis le début de sa présidence, qui était prévue pour 30 minutes mais qui en a duré 45. Le président Sarkozy a fait les honneurs d’une trentaine de gardes républicains sabre au clair lorsque le Premier ministre du Québec a gravi les marches de l’Élysée. Il faut dire que l’insistance qu’avait mise, le 8 mai dernier, au cimetière canadien de Bény Reviers, Nicolas Sarkozy à affirmer que la France était très proche du Québec mais aussi qu’elle aimait « beaucoup le Canada ». Sans notes, le président Sarkozy avait lancé, dans un grand élan, « Vous savez que nous, on est très proches du Québec, mais je vais vous le dire, on aime beaucoup le Canada aussi. On n’oppose pas nos deux amitiés et nos deux fidélités. On les rassemble pour que chacun comprenne que ce que nous avons en commun, on va le tourner vers l’avenir pour que l’avenir du Canada et de la France soit l’avenir de deux pays pas simplement alliés, mais deux pays amis ».

Monsieur Sarkozy avait poussé très loin sa déclaration au cimetière canadien de Bény Reviers, notamment en raison des événements du jour : « On aime le Québec, mais on aime le Canada. On aime les deux. Et ceux qui sont morts ici, on ne leur a pas demandé de quelle région ils venaient. On savait de quel pays ils venaient. On ne leur a même pas demandé quelle langue ils parlaient. Ceux qui sont sous terre, même s’ils ne pratiquaient pas notre langue, ils nous ont sauvés et nous ont aidés ». Déclaration qui avait créé au Québec une onde de chocs. D’autant plus qu’en octobre prochain, Nicolas Sarkozy présidera le 12ième Sommet de la Francophonie à Québec.

À la fin de l’entretien, les deux hommes se sont quittés non sans avoir échangé deux bises fraternelles. Le Premier ministre du Québec, Jean Charest, était dans un état de Nirvana complet : « La relation entre la France et le Québec a un caractère familial, filial. Une relation de fraternité, d’amitié, et même d’amour, qui dépasse les liens économiques. Mais c’est aussi une relation mature, qui n’exclut pas le Canada. C’est une relation unique au monde ». Selon Jean Charest : « La relation entre le Canada et la France, c’est une chose et la relation entre le Québec et la France, c’est une relation privilégiée, une relation directe ».

Il faut savoir tout de même que cet entretien n’a été confirmé que vendredi, au moment où Jean Charest entreprenait à Bordeaux sa visite de quatre jours en France. Oui le président Sarkozy a multiplié les petits gestes dans le but évident de montrer son attachement pour le Québec. L’avenir des relations franco-québécoises a apparemment occupé une bonne part des échanges entre MM. Sarkozy et Charest. Selon le Premier ministre Jean Charest, sous sommes à un moment de notre Histoire où la relation avec la France va beaucoup plus loin que la seule question de l’avenir ou de l’indépendance du Québec. Toutefois, tout optimiste qu’il est, Jean Charest a rappelé que cette position traditionnelle demeure la seule que pourrait adopter la France si la souveraineté du Québec revenait à l’ordre du jour, dans 20 ou 40 ans. Merci monsieur Charest.

Jean-Pierre Raffarin, accompagné d’une délégation de quatre sénateurs français, sont en sol québécois jusqu’au 24 mai, à l’occasion de la Ve réunion annuelle Sénat français et Assemblée nationale. Monsieur Raffarin préside également le Comité français d’organisation des fêtes du 400ième. Monsieur Raffarin avait été le premier, en avril dernier, à évoquer la possibilité que le président Sarkozy, étant lui-même « contre le ni-ni », revienne sur la politique de « non-ingérence, non-indifférence », célèbre formule inventée par le ministre gaulliste Alain Peyrefitte. Depuis, l’ancien premier ministre affirme que ses propos ont fait l’objet d’une « interprétation » et préfère ne plus se laisser aller à analyser à haute voix la pensée du président : « Je ne suis pas le porte-parole du président Sarkozy. Il s’exprime lui-même, il s’est exprimé la semaine dernière et il s’exprimera en terre québécoise en octobre ».

Le ministre Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux Transports, s’est démarqué, dimanche à Brouage, de la déclaration du 8 mai dernier, au cimetière canadien de Bény Reviers, du président Sarkozy : « toute formule diplomatique peut être améliorée », tout en ajoutant que : « ce qui il y a du Québec dans le cœur de chacun d’entre nous passe bien au-delà du langage diplomatique, a nuancé cet ancien président de l’Office franco-québécois pour la jeunesse. (…) C’est vrai que nous aimons toujours le Canada, mais cette fraternité que nous avons avec le Québec, elle est dans notre chair ». Outre cette déclaration, le ministre Bussereau a des limites ministérielles bien légitimes qu’il ne peut franchir. Le quotidien montréalais Le Devoir avait affirmé que la nouvelle position du président français avait profondément irrité « plusieurs personnalités depuis longtemps attachées au Québec, notamment l’actuel président de la Cour des comptes, Philippe Séguin ». Le ministre Bussereau a fermement démenti l’existence de tels tiraillements : « Ne venez pas créer en France un débat qui a été créé dans la presse québécoise et qui n’a lieu ni dans l’esprit ni dans le cœur des Français ».

Quelque 500 000 touristes visitent chaque année Brouage, village natal de Samuel de Champlain. Le premier ministre Jean Charest avait comparé la visite de Brouage par un Québécois à un « retour aux sources », écrit Simon Boivin du quotidien La Presse. « Tout le monde chez nous rêve de visiter votre commune. C’est un pèlerinage pour nous », a dit M. Charest.

Louise Beaudoin, ancienne ministre des relations internationales sous le gouvernement de René Lévesque, est maintenant chargée des questions de francophonie internationale, et professeure invitée au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal. Ce mardi, elle a publié un texte dans le quotidien Le Devoir. « Nicolas Sarkozy souhaiterait, si on comprend bien le sens de sa nouvelle doctrine de l’amour universel, que la France demeure dorénavant neutre en toutes circonstances et n’appuie plus jamais le Québec dès le moindre froncement de sourcils du côté d’Ottawa.[…] Croit-il vraiment qu’il n’y aura plus jamais de litiges entre Québec et Ottawa, que l’Histoire se figera et que la France n’aura plus à choisir le Québec comme l’ont fait, lorsque c’était nécessaire, tous ses prédécesseurs depuis Charles de Gaulle ? »

Madame Beaudoin poursuit : « Nicolas Sarkozy prétendait vouloir rompre avec la politique étrangère de la France parce qu’elle était trop soumise à des intérêts mercantiles et pas assez sensible aux violations des droits de la personne à travers le monde. Ce qui est sûrement vrai et ce qui méritait, en effet, en Afrique et ailleurs, des changements réels. Puis vinrent le colonel Kadhafi, de la Lybie, qui planta sa tente pendant une semaine tout à côté des Champs-Élysées, et ensuite le président Bongo, du Gabon, qui obtint la tête du secrétaire d’État à la Coopération et à la Francophonie, J.-M. Bockel, celui-ci ayant eu le malheur d’annoncer l’acte de décès de la Françafrique. Depuis, comme l’a écrit Le Monde, la diplomatie de la France est devenue littéralement schizophrène ».

L’ancienne ministre conclut : « Même le sénateur Raffarin, qui a mis le feu aux poudres en annonçant le changement à venir, rectifie le tir ! Du côté du gouvernement du Québec, on assiste à un changement de discours par rapport à la semaine dernière, alors que le premier ministre tentait de justifier l’injustifiable, c’est-à-dire la présence, plutôt que la sienne, de la gouverneure générale du Canada au lancement des fêtes à La Rochelle et qu’il approuvait les contre-vérités historiques assénées par Stephen Harper au sujet de la naissance du Canada […] Si, pour de telles mauvaises causes, le président de la République change d’idée et recule, il n’y a pas de raison que, pour une bonne cause comme la nôtre, celle de la pérennité d’une nation majoritairement francophone en Amérique qui passe par son affirmation dans le monde, il ne fasse de même ».

(Sources : Cyberpresse, Le Devoir, Le Monde, Presse canadienne)

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