Existe-t-il un lien entre la démission d’Ali Larijani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale de l’Iran et principal négociateur sur le dossier nucléaire iranien et la récente visite de Vladimir Poutine en Iran ? Certains observateurs seraient portés à le croire. Il convient de rappeler que Vladimir Poutine, lors de son entretien avec le guide suprême, avait formulé une suggestion pour sortir l’Iran de l’impasse. Le seul interlocuteur iranien qui ait annoncé cette nouvelle est bien Ali Larijani. « Lors de sa rencontre avec le guide suprême, M. Poutine a fait une suggestion particulière », déclarait Ali Larijani, sans donner plus de détails. « L’une des questions évoquées par cette suggestion, ce sont les affaires nucléaires que nous sommes actuellement en train d’examiner », s’était-il contenté de dire. À cette même occasion, M. Larijani avait annoncé qu’il allait rencontrer le diplomate en chef de l’Union européenne, Javier Solana, le 23 octobre à Rome pour discuter de la crise nucléaire.
M. Larijani a démissionné de son poste trois jours après le départ de Vladimir Poutine de Téhéran. Personne ne sait exactement en quoi consiste cette suggestion particulière de Vladimir Poutine au guide suprême. Ce qui ouvre la voie à de multiples spéculations. Javier Solana, qui doit négocier au nom des Six (France, Grande-Bretagne, Allemagne, États-Unis, Russie, Chine) a rencontré, à Rome, Saïd Jalili, le nouveau négociateur du dossier nucléaire iranien, responsable de moindre rang issu du ministère iranien des affaires étrangères et proche allié du président Ahmadinejad. Ce même jour, mardi, Mahmoud Ahmadinejad était en Arménie. Il a à peine eu le temps de déclarer devant un groupe d’Iraniens résidant en Arménie que : « bien que nous soutenons les négociations, nous ne négocions sur nos droits avec personne car celui qui négocie sur ses droits est sûr d’en perdre une partie ». Il a écourté son séjour pour rentrer précipitamment à Téhéran. Il devait intervenir devant les députés à l’Assemblée nationale (parlement) arménienne et visiter le Mémorial du génocide arménien, « Dzidzernagapert », ainsi que la Mosquée bleue. La démission surprise de monsieur Ali Larijani aurait fait naître des tensions politiques à Téhéran.
Les analyses d’observateurs en Iran indiquent que l’ayatollah Ali Khamenei n’aurait pas apprécié cette démission jugée « inopportune » du négociateur sur le dossier nucléaire iranien. Ali Akbar Velayati, conseiller du guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a critiqué le remplacement de M. Larijani, en affirmant qu’on aurait dû empêcher son départ dans la « situation sensible » actuelle. Ali Larijani jouissait, du fait de sa désignation par l’ayatollah Khamenei, d’un capital de confiance dans le monde. Il avait été nommé chef du Conseil suprême de la sécurité nationale de l’Iran, en août 2005, suite à l’investiture du président Mahmoud Ahmadinejad. Le départ d’Ali Larijani constitue une deuxième fronde à l’encontre du guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei. Il convient de rappeler que, début septembre, le commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique, homme dévoué à l’ayatollah Khamenei avait été évincé de son poste et remplacé par un fidèle de Mahmoud Ahmadinejad.
La question que se posent les diplomates à Téhéran vise bien évidemment le président Mahmoud Ahmadinejad. Aurait-il agi à l’insu du guide suprême, écartant un porte-parole crédible pour le remplacer par un proche ? Au parlement, la nouvelle passe très mal : 183 députés, près des conservateurs, ont manifesté leur soutien monsieur Ali Larijani et salué son action. Mohammad Hachémi, ex-vice président et frère de l’ex-président, Akbar Hachémi Rafsandjani, a indiqué que « la démission de Larijani montre que le cercle des responsables de l’exécutif se rétrécit ». Il a jugé « vraiment regrettable » la démission de M. Larijani, alors qu’« il appartient aux cercles du groupe conservateurs et occupe une position importante dans ce groupe », selon le site Internet Aftab.
Boris Iounanov , de l’agence de presse Ria Novosti, proche du gouvernement russe, s’interroge sur le lien hypothétique entre la démission M. Larijani et un refus possible de Téhéran de la suggestion particulière de Vladimir Poutine. Selon des sources dans les milieux diplomatiques européens, les États-Unis auraient laissé entendre à Moscou que le déploiement de la défense antimissile en Pologne et en République tchèque pourrait être reporté si l’Iran abandonnait son cycle nucléaire. La suggestion singulière de Poutine consisterait à permettre à Téhéran, après son accord d’un tel abandon, de recevoir des Européens la technologie du cycle nucléaire complet sous les garanties diplomatiques de Moscou qui accepterait, dès lors, de construire toutes les centrales nucléaires dont l’Iran a besoin. En échange, Washington ajournerait à 2015 au moins le déploiement de la défense antimissile en Europe et s’engagerait à ne pas lancer une opération militaire à l’égard de l’Iran.
Il semble que cette hypothèse soit crédible. En effet, selon une déclaration du secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, actuellement en visite à Prague : « Nous conditionnerons l’activation de ces sites en Pologne et en République tchèque à une preuve définitive de la menace, comme des tests iraniens de missiles. Nous allons continuer les négociations pour les achever, nous allons développer et construire les sites (ABM), mais nous ne les mettrons en service qu’une fois la menace iranienne avérée ». Pour accroître davantage l’intérêt de Moscou, la secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, et le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, ont proposé à la Russie d’ajouter à la transparence en permettant, par exemple, une présence russe sur le site ABM en République tchèque. Moscou reçoit positivement cette ouverture américaine à la condition toutefois qu’elle lui soit formulée par écrit.
La démission de M. Larijani pourrait-elle signifier que Téhéran, indisposé par ces tractations, aurait opposé à la suggestion singulière de Vladimir Poutine un Niet catégorique ?
Que donnera la rencontre du nouveau négociateur, Saïd Jalili, avec Javier Solana ? Ali Laridjani, représentant du Guide suprême de la Révolution islamique, et Javad Vaïdi, sous-secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale, ainsi que Mohammad Saïdi, vice-président de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique accompagnent le nouveau négociateur Jalili dans son déplacement à Rome. Javier Solana devra composer avec le fait que Saïd Jalili met un point d’honneur à « délivrer des sermons interminables à ses interlocuteurs ». L’objectif de la rencontre de dissiper les inquiétudes autour des activités nucléaires civiles de l’Iran sera-t-il atteint ? Rien n’est moins sûr.
Un échec ou un raidissement de l’Iran aurait des conséquences que n’ignorent certainement pas le guide suprême Khamenei et le parlement iranien. Cela pourrait déboucher sur le déblocage tant attendu des États-Unis d’une escalade des sanctions à l’égard du pays récalcitrant. M. Solana fera rapport aux Six après ses contacts avec les Iraniens. Tout dépendra aussi du rapport du directeur de l’Agence internationale pour l’Énergie atomique, Mohamed ElBaradei. Pour rappel, l’Iran est sous le coup de deux résolutions comportant des sanctions à cause de son refus de suspendre son enrichissement d’uranium. Tout le plan de coopération établi, en août, entre l’Iran et l’AIEA, avec pour négociateur, monsieur Larijani, pourrait voler en éclats. Téhéran s’était en effet, en août dernier, engagé auprès de l’agence à éclaircir au plus tard d’ici la fin de l’année les points d’ombre de son programme nucléaire.
Si la Russie ou la Chine refuse d’entériner une nouvelle résolution pour accroître les sanctions à l’égard de l’Iran, les États-Unis et les Européens, poussés par la France, pourraient mettre à exécution leur menace de renforcer leurs sanctions hors du cadre de l’ONU.
En fin de soirée, mardi, dans le cadre somptueux de la villa Doria Pamifili, Javier Solana et les négociateurs iraniens auraient eu, selon AFP, des discussions constructives. Tous trois se retrouveront pour une autre session de discussions avant la fin novembre. Saïd Jalili a confirmé qu’il entendait continuer dans la voie suivie par M. Larijani. Pendant que se poursuivait à Rome cette nouvelle rencontre, Nicolas Sarkozy, en visite à Rabat, a invité Téhéran à s’inspirer de l’exemple du Maroc qui a conclu un accord de coopération nucléaire avec la France. « L’énergie du futur n’a pas vocation à être la possession exclusive des pays les plus développés, dès lors que les conventions internationales sont partout respectées », a-t-il déclaré. A Londres, le Premier ministre britannique, qui recevait, toujours ce mardi, son homologue israélien Ehud Olmert, a rappelé que l’Iran continuait à violer le Traité de non prolifération nucléaire en dépit des deux trains de sanctions adoptés par le Conseil de sécurité des Nations unies. « Nous prenons très sérieusement ce que l’Iran propose et nous sommes prêts à recourir aux méthodes que nous avons déjà mises en œuvre ainsi qu’aux sanctions diplomatiques. Et je ne n’écarte rien », a réitéré Gordon Brown.
En terminant, impossible de passer sous silence le grondement de l’Amérique : « Notre pays et l’ensemble de la communauté internationale ne peuvent pas rester les bras croisés alors qu’un État qui soutient le terrorisme est en train de mettre en œuvre ses ambitions les plus agressives », a martelé à nouveau le vice-président des États-Unis, Dick Cheney. « Le gouvernement de l’Iran constitue un obstacle de plus en plus grand à la paix au Proche-Orient ».
(Sources : AFP, Cyberpresse, La Presse canadienne, Le Monde, Le Temps, Ria Novosti)
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