mercredi 11 juillet 2007

Un propriétaire peut-il interdire à son locataire de fumer chez lui ?

Une petite histoire bien de chez nous. Olesia Koretski est propriétaire d’une maison. Madame Koretski et son conjoint, Matthew Newland, ont mis en location l'étage supérieur de leur duplex. Au moment de la location des lieux, ils jurent avoir mentionné qu'ils cherchaient un locataire non-fumeur.

Madame Sandra Ann Fowler, lorsqu’elle se montre intéressée par le dit appartement, ne précise pas qu'elle est fumeuse. Parce que la question n’a pas été abordée entre les propriétaires et la locataire. « On ne lui en a pas parlé. Elle ne sentait pas la fumée », explique monsieur Newland.

Au cours de l’été, monsieur Newland constate l’odeur d’une cigarette dans les corridors de l’immeuble. « J'ai demandé à la locataire si elle fumait, elle a dit que ce devait être une de ses amies qui avait fumé en quittant son appartement », a-t-il poursuivi.

À la fin du mois de septembre, il sent la même odeur dans sa salle de bains. La locataire, madame Sandra Ann Fowler, s’explique : « Je lui ai dit que je fumais dans ma salle de bain et que la ventilation étant commune aux deux logements, que ça se pouvait qu'il sente ».

Comble d’irritation. Quelques jours plus tard, les propriétaires envoient à la locataire une lettre l’enjoignant de cesser de fumer, sinon ils s'adresseront à la Régie pour la forcer. La Régie du logement est un tribunal administratif dont le mandat est de régler, notamment, les litiges entre propriétaires et locataires.

Madame Sandra Ann Fowler ignore l’avis des propriétaires : « Je n'ai pas donné suite, puisqu'il n'est pas écrit dans le bail qu'il est interdit de fumer ». La situation se corse : enceinte et asthmatique, madame Olesia Koretski, la propriétaire, craint pour sa santé et celle de son bébé. Monsieur Newland entreprend donc des travaux pour sceller le logement de sa locataire, mais l'odeur se propage toujours et incommode les propriétaires.

Devant le tribunal administratif, le régisseur fait remarquer à madame Sandra Ann Fowler qu’il était fait mention, dans le document qu’elle a signé pour autoriser une enquête de crédit, que le dit logement était pour « non-fumeur ». Pour toute réponse, madame Fowler soutient : « Je ne l'ai pas vu et on n'en n'a pas parlé ». Pour cette dernière, il appartient aux proprios de rénover adéquatement leur logement afin que la fumée ne se propage pas.

Pour madame Olesia Koretski, la question réside dans le fait que « ce n'est pas l'odeur qui l'incommode. On peut la couvrir, l'odeur. Mais les produits toxiques dans la fumée, on ne peut les neutraliser ». Ce à quoi répond madame Sandra Ann Fowler : « Avec son asthme, le fait qu'elle soit enceinte, je comprends que ça peut être inconfortable. Mais elle va dehors, il y a des odeurs, des irritants dans l'air. Je ne comprends pas pourquoi ma cigarette est le problème. Je veux régler ça, pouvoir fumer où je le veux dans mon logement ».

Et voilà que ce litige privé déborde sur la place publique : « C'est mon droit, ma résidence, que je paye. C'est chez moi. Si on m'interdit de fumer, on va l'interdire à tout le monde », clame madame Sandra Ann Fowler. Elle est maintenant soutenue par le groupe de défense des droits des fumeurs MonChoix.

Que dit la décision de la Régie du logement du Québec ?

Au soutien de sa demande, la locatrice allègue que contrairement aux prescriptions du bail et plus particulièrement à l'interdiction contenue un formulaire d'application qui, selon elle, en fait partie intégrante, la locataire fume dans son logement. La locatrice déclare qu'elle ne peut tolérer cette situation puisque, d'une part, elle souffre d'asthme et que l'odeur de fumée l'incommode. D'autre part, elle soumet qu'elle est enceinte et craint que les effets nocifs de la fumée secondaire puissent affecter la santé de l'enfant à naître.

La locataire conteste la demande de la locatrice. En défense, elle argue qu'il n'y a aucune clause au bail qui lui interdit de fumer dans son logement. Quant au formulaire d'application qu'elle a complété à la demande de la locatrice, celui-ci ne consistait qu'en une cueillette d'informations permettant à cette dernière de vérifier sa capacité de payer le loyer. Il ne contient aucun engagement de sa part et elle ne l'a pas signé.

[…]

En aucun temps la locatrice et son mari ne demandent à la locataire si elle est fumeuse, ni ne soulèvent le fait qu'ils ne désirent pas de fumeurs dans le logement. Ils n'abordent pas non plus le fait que la locatrice présente quelque intolérance ou problème physique reliés à la fumée de cigarette. À ce sujet, la locatrice et son conjoint précisent qu'ils tenaient pour acquis que la locataire avait vu la mention inscrite au formulaire et qu'elle ne fumait pas, vu son silence quant à celle-là, mais ils n'en ont aucunement discuté.

[Décision]

La preuve soumise ne permet pas au tribunal de conclure que la signature du bail était conditionnelle à l'engagement de la locataire de ne pas fumer dans le logement. Cette préoccupation, s'il en était, des locateurs, n'a pas fait l'objet de discussions ou de négociations et la clause que l'on veut maintenant rattacher au bail et imposer au locataire n'a pas fait l'objet d'un consensus entre les parties. Sa seule mention dans un document accessoire, ne saurait être génératrice de droit.

Par conséquent, la locatrice n'a pas démontré de façon prépondérante d'inexécution de la locataire de ses obligations et il s'ensuit que le tribunal ne peut prononcer les conclusions recherchées.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL REJETTE la demande des locateurs.

Le groupe de défense des droits des fumeurs MonChoix se réjouit du jugement du tribunal administratif. « Cette décision de la Régie du logement vient confirmer que les propriétaires d'édifices à logements ne peuvent pas abuser de leur droit de propriété et imposer des règlements arbitraires non spécifiés dans les contrats », a commenté la vice-présidente de l'organisme, Arminda Mota.

Il est important de noter enfin qu’au moment où la cause a été soumise à la Régie du logement, il s'agissait d'une première. Il n'existait aucune jurisprudence dans ce domaine et il n'y avait jamais eu de contestation en cour. Pour ce qui est des nouveaux baux, de telles clauses n'ont pas encore été traitées par la Régie du logement ou la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

S'agissant des fumeurs, notons au passage que l'Enquête de surveillance de l'usage du tabac au Canada (ESUTC ) montre que les jeunes fument de moins en moins. Seulement 15% des Canadiens de 15 à 19 ans ont fumé de façon occasionnelle en 2006, comparativement à 18% entre 2003 et 2005. L'interdiction de fumer sur les terrains des écoles enverrait un message clair aux jeunes. Fait étonnant: 54% des jeunes de moins de 18 ans obtiennent leurs cigarettes d'un ami ou d'un parent. Le Québec arrive en quatrième position des provinces où l’on fume le moins. La Colombie-Britannique est première.

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Sources : Canoe, Cyberpresse, Matinternet

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