lundi 23 juillet 2007

« Où est le président Lulla qui aime tant faire des discours? »

Pour beaucoup de citoyennes et de citoyens, Luiz Lula da Silva est une icône. Son cheminement suscite étonnement et émerveillement. Avec son épaisse barbe noire et ses cheveux toujours en bataille, ses brefs séjours en prison, son passage à la présidence du syndicat de la métallurgie, ses talents de tribun, Lula est symbole de réussite pour un enfant de la dèche. L’homme de la base, ce géant du Brésil, vient de décevoir amèrement son peuple. Dans la tragédie, il s’est fait absent. A-t-il oublié qui il était avant 2002 ?

Luiz Lula da Silva appartient à une famille de sept enfants. Il est né en 1945. Pour fuir la misère, son père quitte seul le village du Nordeste et se fait embaucher comme docker dans le grand port de Santos, à 40 km de Sao Paulo. Lorsque Lula a sept ans, sa mère décide de rejoindre son mari avec ses sept enfants, qu’elle a élevés pratiquement seule. Sauf que le père a fondé un autre foyer. La mère n’a d’autre choix que de mettre à contribution tous les enfants pour survivre dans la grande ville. Le petit Lula quitte l’école à 10 ans pour des petits boulots dans la rue (cireur de chaussures, vendeur de cacahuètes). À 14 ans, il devient tourneur dans une usine automobile de Sao Bernardo do Campo, puis ouvrier métallurgiste.

En 1975, il s’élève à la présidence du syndicat de la métallurgie et devient une figure du syndicalisme brésilien. En 1980, il fonde le Partido dos Trabalhadores (Parti des travailleurs), d’inspiration trotskiste, à une époque où le général Joao Figueiredo prépare lentement le pays au retour de la démocratie. En 1982, il est une première fois candidat au poste de gouverneur de l’État de Sao Paulo et, en 1986, il entre enfin au Congrès à tire de député. En décembre 1989, se déroulent les premières élections démocratiques depuis trente ans. Lula se présente, dans le cadre des premières élections démocratiques depuis trente ans, au poste de président de la république. Il perd face à Fernando Collor de Mello. En 1998, Lula se présente une troisième fois à la présidence mais il est battu dès le premier tour. Ce n’est que le 27 octobre 2002 que Lula est enfin élu président du Brésil.

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis. Lula n’est plus Lula.

Mardi 17 avril 2007. Un Airbus A-320 de la compagnie brésilienne TAM s’écrase sur l’un de ses entrepôts en plein cœur de Sao Paulo. Cent quatre-vingt-une des 186 victimes du crash meurent carbonisées par l’incendie déclenché par le choc. Le ministère brésilien de la Justice, Tarso Genro, ordonne immédiatement l’ouverture d’une enquête pour déterminer si la piste principale d’atterrissage de l’aéroport de Congonhas respectait les normes de sécurité. C’est la pire tragédie aérienne survenue au Brésil. Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, exprime, par voie de communiqué, sa « consternation », décrète un deuil de trois jours et demande au commandant de l’armée de l’air, Junito Saito, de se rendre sur les lieux. Le président ne juge pas utile de s’y rendre lui-même, contrairement à son rival politique de longue date, le gouverneur de l’Etat de Sao Paulo, Jose Serra, qui est venu réconforter les familles des victimes. Une absence remarquée et dénoncée par les journaux et les Brésiliens. Comme le disait Winston Churchill : la responsabilité est le prix de la grandeur.

Les premières spéculations semblent montrer, selon de nombreux responsables et experts de l’aéronautique, que la piste de l’aéroport Congonhas de Sao Paulo est trop courte et qu’elle était détrempée par la pluie. L’appareil aurait donc glissé avant de terminer sa course dans une station service et un entrepôt. Toutefois, une vidéo de l’atterrissage raté, diffusé aussitôt par l’autorité aéroportuaire du Brésil, Infraero, donnerait à penser que d’autres facteurs ont précipité la catastrophe. En effet, il semblerait plutôt que l’appareil de la TAM a accéléré au lieu de freiner lorsqu’il a touché le sol, peut-être parce que le pilote a tenté de redécoller. Elnio Borges, président d’une association de pilotes, réagit très mal à ces explications : « Le gouvernement tente manifestement de convaincre l’opinion publique que la piste de Congonhas n’est pas en cause. Ils vont tout faire pour accuser le pilote ». Les experts continuent de mettre en cause la sécurité de la piste principale de Congonhas : la piste de 1.900 mètres avait été rouverte au trafic aérien le 29 juin, après 45 jours de travaux de réfection, sans système de rainures permettant une meilleure évacuation de l’eau en cas de pluie. Pourtant, en février dernier, un tribunal fédéral avait brièvement interdit tout atterrissage et décollage de gros porteurs sur l’aéroport de Sao Paulo pour des raisons de sécurité. Mais cette décision allait être cassée par une cour d’appel qui l’aurait jugée trop sévère au regard de ses conséquences économiques notamment.

La presse locale n’a pas tardé à rappeler que de nombreux incidents survenus sur cette même piste avaient déjà attiré l’attention sur les risques qu’elle représentait en cas de pluie. Quatre avions ont ainsi déjà dangereusement dérapé à Congonhas depuis le mois d’octobre. Fait important à noter : l’espace aérien brésilien vivait une crise depuis quelques mois. La Force Aérienne Brésilienne (FAB) avait en effet tapé du poing sur la table en juin dernier pour mettre fin au chaos qui règnait dans le ciel du pays. Taxée de laxisme et/ou d’incompétence dans sa gestion d’une crise qui dure déjà depuis le 29 septembre 2006, date du crash du Boeing de la Gol, la FAB aavait suspendu de leurs fonctions un total de 14 sergents contrôleurs de vols, pour indiscipline. Ils étaient suspectés d’exercer une mauvaise influence, traduisez d’inciter leurs collègues à entrer en grève ou à ralentir les cadences de travail. Le contrôle aérien est entièrement militarisé au Brésil, ce qui n’est pas sans créer des tensions et des malentendus avec les principales institutions du transport civil (Aviation Civile, Infraero).

Mais voilà, qu’en parallèle avec ces querelles d’experts, s’ouvre une nouvelle polémique. Mais où est donc Lula ? Ne quittant pas ses conseillers d’une semelle et annulant ses apparitions publiques, Lula semble se terrer dans la capitale depuis la catastrophe. Un expert s’interroge : « On se demande comment l’armée de l’Air a autorisé l’avion à atterrir sur une piste mouillée et relativement courte dans ces conditions, le risque était imminent ». Est-ce la raison du silence du président Lula ?

La commentatrice politique Lucia Hippolito ne comprend tout simplement pas : « Où est le président qui aime tant faire des discours? » Le gouvernement est dans l’embarras. Lula da Silva est accusé de ne pas s’être attaqué à des problèmes de sécurité aérienne signalés depuis longtemps, comme le manque de radars, le sous-financement des systèmes de contrôle du trafic aérien, et la piste courte et glissante de l’aéroport le plus fréquenté du Brésil.

Le mercredi, la compagnie TAM annonce qu’un de ses employés est mort et que six autres ont disparu dans son entrepôt de frêt, heurté par l’avion. Jusqu’à présent 55 corps ont été retirés des décombres de l’appareil et de l’entrepôt. Douze personnes ont été hospitalisées. Le gouverneur de l’État de Sao Paulo, José Serra, confirme pour sa part, à la presse, qu’il serait sans doute impossible de retrouver des survivants.

Le jeudi soir, la compagnie brésilienne TAM annonce que l’Airbus A320 volait avec l’inverseur de poussée droit débranché. L’inverseur de poussée est un dispositif permettant de freiner l’avion lors de l’atterrissage en orientant vers l’avant la poussée exercée par un moteur. Le service de presse de TAM indique que ce défaut « ne compromet pas les atterrissages ». Cette nouvelle est suivie d’une réaction inacceptable pour le peuple brésilien : l’un des plus proches collaborateurs du président, Marco Aurelio Garcia, fait un geste obscène, largement interprété comme une réaction de joie, au moment où il apprend, à la télévision, que l’un des deux inverseurs de poussée de l’avion accidenté avait été désactivé quatre jours avant la catastrophe. Ce geste, implacablement diffusé à la télévision brésilienne, a profondément choqué parce qu’il semblait traduire la satisfaction de son auteur à l’idée que l’éventuel problème technique éloigne les soupçons du gouvernement.

Garcia pousse l’audace de publier un communiqué pour dire qu’il s’était senti « affecté » par l’annonce d’un possible problème technique, non seulement parce que tant de personnes ont péri, mais parce que « de nombreux médias n’ont pas hésité à accuser le gouvernement de la tragédie de Sao Paulo quelques heures à peine après l’accident ». Le président du Parti social démocrate, Tarso Jeiressati, réagit immédiatement : « Cette attitude est inacceptable et offense tous les Brésiliens encore anéantis par la pire tragédie aérienne qu’ait jamais connue le pays ».

Ce même jour, la TAM publie un communiqué pour annoncer un bilan alourdi à 191 morts au lieu des 187 comptabilisés antérieurement. La compagnie y affirme qu’elle venait d’apprendre que le co-pilote, Maros Stepansky, se trouvait à bord en tant que membre d’équipage « en repos ». De son côté, le gouverneur de l’État de Sao Paulo, José Serra, dénonce, dans une lettre adressée au président Lula, et publiée par la presse, vendredi 20 juillet, le fait que : «il est de notoriété publique que l’aéroport est entouré de grandes avenues - les plus fréquentées de Sao Paulo - et que ses pistes ne possèdent par de zone d’échappement, ce qui augmente beaucoup le risque et la probabilité d’éventuels accidents ». Selon lui, « ce fait a été une cause évidente de stress pour les pilotes, les contrôleurs aériens et pour tout le système de sécurité ». M. Serra a souligné que le nombre de passagers à Congonhas a connu une croissance de 44,5% en trois ans pour atteindre 18 millions par an, alors que sa capacité théorique est de douze millions.

Le président Luiz Lula da Silva s’adresse finalement, le vendredi soir, 20 juillet 2007, à la nation lors d’une intervention télévisée au cours de laquelle il promet de prendre « toutes les mesures en son pouvoir pour réduire le risque de nouvelles tragédies ». Une intervention présidentielle de cinq minutes à la télévision dans laquelle Lula fait part de la tristesse de tout le pays et apporte son soutien aux familles des victimes. Il déclare notamment : « Notre système d’aviation, malgré les investissements que nous avons réalisés dans l’agrandissement et la modernisation de presque tous les aéroports brésiliens, traverse des difficultés. Son plus gros problème aujourd’hui, c’est la trop forte concentration de vols à Congonhas ». Il rend public le projet de construction d’un troisième aéroport à Sao Paulo, en plus de ceux de Congonhas et de Guarulhos (situé dans la banlieue), dont le site devrait être choisi dans les 90 jours. Des observateurs ont noté qu’il a, durant son allocution à la nation, paru rigide et dénué de charisme, contrairement à son habitude. Selon GLOBO TV, ce message de compassion arrive trop peu trop tard et les Brésiliens n’y ont guère cru.

Et dire que le mardi 17, jour même du crash de Airbus A-320 de la compagnie brésilienne TAM, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva se réjouissait que les réserves internationales du Brésil aient dépassé les 150 milliards de dollars. Il a averti que ces réserves étaient destinées à garantir la stabilité et non à être dépensées. Les réserves en devises du Brésil atteignaient, lundi, le montant record de 151,7 milliards de dollars, soit une hausse de plus de 77% depuis le début de l’année. « Ce n’est pas rien » d’avoir 150 milliards de dollars de réserves, a commenté Lula devant le Conseil de développement économique et social (CDES). « Je ne peux évidemment pas les dépenser comme je le voudrais. J’ai tant d’idées sur ce qu’on pourrait faire de cet argent, mais c’est une réserve que nous allons devoir garder parce que c’est elle qui nous donnera la stabilité pour faire d’autres choses », a-t-il expliqué.

Une partie de cet argent aurait pu servir à améliorer les pistes de l’aéroport de Congonhas. Le professeur Jorge Leal, de l’École polytechnique de l’Université de Sao Paulo, interrogé par l’AFP, a critiqué la priorité accordée dans les investissements à l’agrandissement du terminal de Congonhas, qui a précédé la réfection de la piste. « On a fait passer le confort des passagers avant leur sécurité », selon lui.

« Je demande de la sérénité à tous les Brésiliens », déclarait le président dans son allocution du vendredi soir. « Nous travaillons avec rigueur et sérénité, sans précipitation » dans l’enquête sur l’accident de Sao Paulo, a assuré Luiz Inacio Lula da Silva.

Le bilan final est estimé à plus de 200 morts.

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